Visualiser une pandémie légère: la comparaison de risques avec 36,000 décès annuels aux états-unis, causés par la grippe [saisonnière]
http://www.psandman.com/gst2009.htm
Publié le 15 mai 2009
Traduction de: Visualizing a mild pandemic: The risk comparison to 36,000 U.S. annual flu deaths
2009 Guestbook - Comments and Responses
The Peter Sandman Risk Communication Website
May 15, 2009
Name: Logan Boss
Field: Public health risk communicator
Date: May 15, 2009
Location: Georgia, U.S.
COMMENTAIRE:
Ceci était dans l’édition du 13 mai du Wall Street Journal: "A Pandemic of Confusion About Flu’s Death Rates: The CDC’s Figure of 100 Influenza Deaths a Day Is Flawed, but That Doesn’t Stop People From Spreading It." - "Une pandémie de confusion à propos des taux de mortalité: le chiffre du CDC de 100 décès de grippe par jour est confus, mais cela n’arrête pas les gens de le propager."
Et j'avais vu ceci antérieurement, sur le blog de santé publique d'Effect Measure: “How do we know how many people die from flu each year?” – "Comment savons-nous combien de personnes meurent de la grippe chaque année?"
Êtes-vous à l'aise avec "36,000 décès par année, causés par des complications dues à la grippe", comme base de risque de communication, en comparaison du H1N1 ou de toute autre maladie, pour ce sujet? Existe-t-il une meilleure façon de faire?
Comme toujours, merci beaucoup pour tout ce que vous et votre épouse faites et partagez. Dernièrement, your pre-pandemic messaging - vos messages pré-pandémiques se sont avérés très utiles.
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RÉPONSE DE PETER:
Mon épouse et collègue, Jody Lanard, a collaboré à cette réponse.
Les deux articles que vous citez font un bon travail pour expliquer à quel point le manque de fiabilité de "36,000 décès de grippe [saisonnière] par année aux États-Unis", est un mantra, en réalité. Comme ces deux articles le soulignent, il est assez inhabituel pour une personne en bonne santé de contracter une maladie respiratoire, qui est confirmée en laboratoire comme étant de l'influenza [grippe], puis d’en mourir ensuite sans complications. Beaucoup plus fréquemment, une maladie grippale, qui n’est jamais confirmée comme étant de la grippe, aggrave les problèmes en matière de santé déjà existants (maladies cardiaques, par exemple), ou précipite de nouveaux problèmes de santé (pneumonie, par exemple), ou les deux. Lorsqu'une telle combinaison de maladies tue quelqu'un - habituellement une personne âgée - "l’influenza" figure rarement sur le certificat de décès.
C'est pourquoi des expressions telles que "maladies liées à la grippe" ou "complications dues à la grippe" sont un qualificateur nécessaire à l’estimation de "36,000 décès annuels" - qui est basé sur une modélisation, et non pas un recensement. La controverse est que si, d’une façon ou d’une autre, les États-Unis étaient entièrement préservés de la grippe pendant un an, environ 36,000 Américains de moins mourraient cette année-là, comparé au nombre de ceux qui meurent en moyenne par année.
En tant que professionnels de communication de risques, nous n'avons pas d'opinion sur la façon dont cette estimation peut s’approcher du "véritable chiffre". Mais nous sommes devenus raisonnablement à l'aise avec cela. Nous avons l'impression qu’il s’agit d’une estimation honnête. Les combattants de la grippe du CDC, et d’ailleurs, sont sans cesse consternés par le fait que la plupart des Américains sont blasés à propos de la grippe, ce qui leur donne une incitation pour surestimer cette mortalité. Mais ils [les Américains] sont également sensibles aux accusations récurrentes d’exagération, et dans ce cas, ils semblent opter pour le sens inverse, afin d'éviter l'amplification. De nombreux experts pensent que l'estimation pencherait plutôt vers un nombre inférieur.
Bien entendu, toute personne qui utilise le chiffre de 36,000 [décès annuels] devrait reconnaître qu’il s’agit uniquement d’une approximation, et non pas un nombre [réel]. Et devrait au moins envisager la reconnaissance de trois autres éléments:
● Le chiffre est une moyenne (en fait, une moyenne estimée). Une mauvaise saison de grippe mène vraisemblablement à plus de 36,000 décès supplémentaires aux États-Unis, tandis qu'une saison de grippe "légère", plus bénigne, entraîne moins de décès. Et bien entendu, les victimes de la grippe meurent surtout en hiver. Il n'existe pas de constante, une parade métronomique de "100 morts de grippe par jour".
● Les Américains qui meurent de la grippe saisonnière sont majoritairement des personnes âgées ou malades, ou les deux. Cela ne signifie pas que leurs décès ne méritent pas d'être devancés par la vaccination, l'hygiène, et d'autres façons de réduire la mortalité causée par la grippe. Mais cela fait de leur décès une plus petite tragédie que la mort de 36,000 jeunes en bonne santé le ferait.
● La mortalité causée par la grippe est seulement la partie visible de l'iceberg des effets de la santé sur la grippe. La grippe saisonnière tue un infime pourcentage - moins d'un dixième de un pour cent - de ses victimes. C'est une bonne nouvelle, évidemment: presque tout le monde récupère. Mais cela signifie aussi que des dizaines de millions d'Américains chaque année - et non pas 36,000 - passent une semaine à la maison, au lit avec la grippe, et sont pitoyables et improductifs.
Pourquoi le risque de comparaison est-il problématique?
Mais rien de tout cela rend problématique le fait d’utiliser le chiffre 36,000 [décès] en comparaison de risques.
Le but de toute comparaison est d'ancrer dans la compréhension des gens quelque chose qu'ils ne connaissent pas beaucoup, en le comparant aux choses qu'ils connaissent beaucoup plus. Quand vous dites que X est dix fois aussi long qu'un terrain de football ou la moitié du poids d'un trombone, vous donnez à votre auditoire une bonne idée de comment long ou comment lourd est X.
Toutefois la plupart des gens n’ont pas le sens des mathématiques. Ils n'ont pas une image très nette de combien de personnes 36,000 personnes représentent. Ils ne sont pas sûrs de combien d’Américains meurent chaque année (ou même de combien d’Américains il y a). Ils ne savent pas si l’estimation de 36,000 par année place la grippe dans les cinq premières causes de mortalité aux États-Unis, ou plus bas en 50ième place, ou quoi que ce soit. (Les données du CDC pour la cause des décès en 2005 commencent par la maladie cardiaque avec 652,091 [personnes]; la "grippe/pneumonie" arrive en 8ième position avec 63,001; l'estimation de 36,000 pour la grippe seulement viendrait en 10ième position.)
Étant donné que les gens ne savent pas si 36,000 décès annuels, c'est beaucoup ou peu, ils se fient au contexte. Si vous dites que quelque chose tue "seulement 36,000" Américains par année, ils savent qu'ils sont supposés conclure que ce n'est pas si mal. Si vous dites que cela tue "un nombre épouvantable de 36,000" Américains par année, ils savent qu'ils sont supposés le prendre au sérieux.
Ou vous pouvez ancrer le 36,000 - ancrer votre ancre - en d'autres comparaisons. Expliquez que la maladie cardiaque tue 18 fois plus d'Américains que la grippe chaque année. Ou que la grippe tue 13 fois autant d'Américains chaque année que des décès ayant eu lieu dans les attaques du 11 septembre. De toute évidence, ces deux ancres créent des impressions très différentes. Si vous essayez d'informer les gens, plutôt que de les persuader que la grippe est ou n'est pas un gros problème, vous pourriez vouloir utiliser les deux.
Bien que nous ne soyons pas certains, nous présumons que si vous avez demandé aux gens de deviner combien d'Américains meurent chaque année des suites de la grippe, la plupart supposeraient un nombre inférieur à 36,000. Ils n’en savent pas beaucoup à propos des statistiques, mais ils savent - ou croient savoir - que la grippe n'est pas très effrayante.
C'est pourquoi les commentateurs, tentant de minimiser les menaces de pandémie, aiment avoir recours à l’argument de la grippe saisonnière pour leurs comparaisons. La grippe porcine (A/H1N1) a causé 70 décès confirmés, jusqu'à ce jour [au 15 mai 2009] dans le monde, dont cinq aux États-Unis. La grippe aviaire (H5N1) aurait tué 257 personnes dans le monde depuis 2003, dont aucun décès aux États-Unis. Comparez ces chiffres à 36,000 décès causés chaque année aux États-Unis par la grippe saisonnière - que "chacun sait" (à tort) qu’il s’agit d’un problème de santé mineur - et la conclusion (inexacte) est inéluctable: les autorités ont réagi de manière excessive à la grippe aviaire et réagissent de manière excessive à la grippe porcine.
Construire une comparaison alarmante
Alors, comment pouvez-vous utiliser le chiffre 36,000 pour démontrer que les autorités n’exagèrent pas avec la grippe porcine?
Supposons que la souche initiale de grippe porcine H1N1 échoue ou ne devienne pas plus virulente. (Cela se pourrait aussi.) Supposons qu'elle continue de se comporter de la façon actuelle, en se propageant dans le monde entier, mais en demeurant "légère". Sur la base de cette hypothèse, imaginons combien d'Américains une pandémie de H1N1 "légère" pourrait tuer.
Bien entendu, nous ne savons pas vraiment combien d'Américains une pandémie de H1N1 pourrait tuer, même en supposant qu'elle demeure aussi "légère" qu’elle l’est actuellement - parce que nous n'avons que des estimations préliminaires de son taux d'attaque (qui prédit le nombre de personnes qui finissent par contracter le virus), et de son taux de mortalité (qui prévoit quel pourcentage de ces personnes malades vont mourir). Cela dépend de nombreux facteurs tels que: si un vaccin est mis au point, si le H1N1 demeure sensible aux antiviraux, à quel point peuvent être réussies des interventions non pharmaceutiques (comme la distanciation sociale), etc.
Cependant, la spéculation la plus digne de foi jusqu’à présent - si jamais la spéculation peut être autorisée – a paru dans l’article publié le 11 mai, dans Science par World Health Organization’s Rapid Pandemic Assessment Collaboration – Collaboration d’évaluation rapide de pandémie de l'Organisation mondiale de la santé - et dans une analyse publiée sur le site de l'OMS le jour même.
L’article paru dans Science, Pandemic Potential of a Strain of Influenza A(H1N1) – Pandémie potentielle d’une souche de grippe A (H1N1) – a inclus une estimation démontrant à quel point ce nouveau virus peut être virulent. Sur la base d’affirmations très précoces et très provisoires, en provenance du Mexique, le groupe a estimé "un taux de mortalité (CFR – Case Fatality Rate) de 0,4% (de 0,3% à 1,5%)". Le taux de 0,4% est qualifié comme étant léger; la pandémie de 1918 a eu un taux de mortalité de 2 - 3%, tandis que le virus H5N1 (qui a infecté très peu de personnes jusqu’à présent) a un taux de mortalité terrifiant de 61%. Pourtant, 0,4% est plus de quatre fois plus élevé que la moyenne du taux de mortalité aux États-Unis pour la grippe saisonnière, qui est inférieur à 0,1%.
Comme pour le taux d'attaque, la déclaration de l'OMS, Assessing the Severity of an Influenza Pandemic - Évaluation de la gravité d'une pandémie de grippe - a indiqué: "Le [nouveau] H1N1 semble être plus contagieux que la grippe saisonnière. Le taux d'attaque secondaire de la grippe saisonnière va de 5% à 15%. Les estimations actuelles du taux d'attaque secondaire du H1N1 se situent entre 22% à 33%." En considérant ces données, l'un des auteurs de Science, Neil Ferguson, a déclaré à BBC News que "nous nous dirigeons vers une saison de grippe qui est peut-être trois fois pire que d'habitude [en termes de taux d'attaque] - ne permettant pas de savoir si ce virus est plus grave que les virus de la grippe saisonnière habituelle."
D’accord, alors la meilleure estimation à l'heure actuelle est qu’une pandémie légère de H1N1 aura un taux de mortalité quatre fois plus élevé que la grippe saisonnière habituelle, et un taux d'attaque trois fois aussi grave que la grippe saisonnière habituelle. Alors, combien d’Américains pouvons-nous estimer que cela tuera en un an? 36,000 × 4 × 3 = 432,000. Et si le H1N1 suit le schéma qu’il a suivi jusqu'à présent, les victimes décédées ne seront pas à 95% des personnes âgées et malades, comme c’est le cas pour les victimes américaines de la grippe saisonnière. Environ la moitié des 432,000 mortalités américaines sera composée de personnes en bonne santé dans la fleur de leur vie. Si cela demeure "léger". [Note: Dans une version précédente de ce paragraphe, nous avons dit que le modèle actuel des décès de la grippe porcine était "principalement" des personnes auparavant en bonne santé. Nous sommes reconnaissants que la surestimation ait été portée à notre attention.]
Au cas où ce ne serait pas évident, nous cherchons à sensibiliser les gens sur la gravité d'une pandémie de grippe porcine. Nous souhaitons leur faire savoir que le virus pourrait s’avérer beaucoup plus grave s’il devenait plus virulent, comme ce fut le cas pour la pandémie de 1918. Et nous souhaitons leur faire savoir que ce ne sera pas un cadeau, même s’il demeure comme il l'est actuellement. Alors, voici notre risque de comparaison:
Sur la base d’estimations préliminaires de l'OMS, une pandémie de grippe porcine qui demeurerait aussi «légère» qu'elle est maintenant, devrait être environ 12 fois plus grave que la grippe saisonnière typique, tuant près de 432,000 Américains en une seule année – soit près de 150 fois plus de personnes mortes dans les attentats du 11 septembre.
Souhaitez-vous davantage de données pour vos comparaisons de risques?
• Les accidents causés par des véhicules automobiles ont tué 37,313 personnes aux États-Unis en 2008.
● La pandémie de 1957 a tué environ 70,000 Américains, pour la plupart des personnes âgées. (La population était moins élevée à cette époque, bien entendu.)
● Le tsunami de 2004 a tué près de 300,000 personnes, en Asie et en Afrique.
● La Seconde Guerre mondiale a tué plus de 50 millions de personnes, dont près de 500,000 soldats américains.
Au cas où vous l'auriez oublié, voici l'autre aspect de la comparaison de risques:
Jusqu'à présent [15 mai 2009], la grippe porcine a tué seulement cinq Américains, soit environ un sept millième que ceux qui meurent, lors d’une saison de grippe saisonnière typique.
Pour en savoir plus sur les usages et les abus du risque de comparaisons, voir: Risk Communication, Risk Statistics, and Risk Comparisons: A Manual for Plant Managers (Communication de risques, risques statistiques, et comparaisons de risques: un manuel pour les directeurs d'usine) - qui a été écrit en 1988; "Communications to Reduce Risk Underestimation and Overestimation," (Communications pour réduire la sous-estimation et surestimation de risques), une étude de certaines comparaison des stratégies de risques, et “Using risk comparisons to show a catastrophe is unlikely,” (Utilisation de la comparaison de risques, afin de faire preuve qu’une catastrophe est peu probable), une récente discussion de ce qui ne va pas avec la réduction du risque des comparaisons.
Alors, quelles leçons pouvons-nous tirer?
1Nous ne savons pas vraiment combien d’Américains la grippe saisonnière tue - et nous ne savons pas non plus combien d’Américains une pandémie de A/H1N1 pourrait tuer. Le premier nombre consiste en une estimation basée sur une modélisation. Alors que le nombre récent a été obtenu par une estimation effectuée à partir d’informations précoces et très provisoires, principalement en provenance du Mexique, concernant un virus qui pourrait se transformer à plusieurs reprises au cours de la prochaine année.
2Les comparaisons de risques sont périlleuses. Vous pouvez presque toujours trouver une comparaison précise qui alarmera votre auditoire, et une autre comparaison précise qui rassurera l'auditoire. Si vous essayez de sensibiliser le public - pour aider les gens à faire leur propre opinion - essayez d'utiliser plusieurs comparaisons, avec différents impacts.
3Si la grippe porcine déclenche une pandémie et demeure aussi "légère" qu’elle l’est actuellement, et si les premières estimations mentionnées ci-dessus s’avèrent à peu près exactes, il faudrait prévoir un nombre de décès d’environ 12 fois plus élevé que la grippe saisonnière annuelle typique – ce qui est pire que si vous considérez les groupes d'âge risquant d'être le plus durement touchés. Nous parlons ici de 432,000 décès d’Américains. (Nous parlons aussi de plusieurs millions de morts dans le monde, bien entendu.) Ceci n'est donc pas un événement qui n’a pas eu lieu. C'est beaucoup plus grave que ce que la plupart des gens imaginent, lorsqu’ils lancent l'expression "léger", "légère".
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La catastrophe – celle-là même dont se préoccupent de nombreux experts - et que la plupart des gens du grand public n’envisagent pas encore, est celle qui pourrait se produire si la grippe porcine déclenche une pandémie et ne demeure pas "légère" (et si le virus développe une résistance aux antiviraux, et si nous ne produisons pas suffisamment de vaccins qui soient efficaces). Personne ne peut estimer cette probabilité, quoique n’importe qui puisse élaborer divers taux d’attaque et taux de mortalité, et aboutir à des données. Convaincre les gens qu’une pandémie catastrophique vaut la peine de se préparer sera extrêmement difficile - et la comparaison de risques pourrait s’avérer beaucoup moins utile pour cet objectif que de dramatiques figures de style.