PANDÉMIE: UNE BONNE HYGIÈNE NE SUFFIT PAS
20 mai 2009

Traduction de: Pandemics: good hygiene is not enough
Peter M. Sandman –
Nature
Published online 20 May 2009


Peter M. Sandman est consultant en communication de risque
Brooklyn, NY 11215-1741;
telephone: (718) 208-6271 Email: peter@psandman.com
Le gouvernement américain fait bien de communiquer l'incertitude concernant la grippe porcine. Il doit également aider le public à visualiser ce à quoi une pandémie grave pourrait ressembler, dit Peter M. Sandman.



R. LARSEN/THE GRAND RAPIDS PRESS/AP

L'hygiène est utile, mais se préparer à une pandémie exige
également une réserve d’approvisionnements indispensables.


Au moment où vous lirez ceci, le foyer d’infection de la "grippe porcine" H1N1 pourrait ne plus paraître une menace mondiale, et la maladie pourrait avoir reculé dans les titres de nouvelles. Alors que l'agitation initiale s'apaisera, des experts de la santé publique resteront en alerte élevée, mais les médias et le public passeront à autre chose, en marmonnant à propos du colportage de la peur.

Et même si la situation est comme cela maintenant, ce ne sera pas la fin de l'histoire. Un virus qui a muté (plus virulent ou transmissible ou résistant aux médicaments) pourrait apparaître quelques mois plus tard.

À titre de professionnel en communication de risque, j'ai observé le gouvernement américain qui marche sur une corde raide, entre trop de réconfort et trop de crainte à propos du foyer d’infection de la grippe porcine, qui pourrait facilement se révéler dévastatrice, relativement légère ou n'importe quoi entre les deux. Les États-Unis n'ont pas publié de faux réconfort [disant] qu'ils vont garder la pandémie hors de "nos" rives - une tentation à laquelle des dizaines de gouvernements ont succombé. Ici, je démontrerai que je pense différemment à propos de ce que le pays est en train de faire - et de mal faire.

Le US Centers for Disease Control and Prevention (CDC) fait un travail remarquable pour expliquer la situation actuelle et à quel point elle est incertaine. La réitération de l'incertitude et ce que cela signifie – les conseils peuvent changer; les stratégies locales peuvent différer - a été exceptionnellement adéquate.

Le plus grand défaut du CDC est de ne pas en faire suffisamment pour aider les gens à visualiser ce à quoi pourrait ressembler une pandémie grave, pour qu’ils soient capables de comprendre et commencer à se préparer au pire.

Jusqu'à présent, pour le citoyen ordinaire, le gouvernement américain a uniquement recommandé l'hygiène. Il a dit aux gens de rester chez eux s'ils sont malades, et de se laver les mains. Il n'a pas mentionné aux gens de faire des réserves de nourriture, d'eau, de médicaments sur prescription ou d'autres approvisionnements. Il y a deux ans, en réponse aux inquiétudes causées par la "grippe aviaire", Mike Leavitt, ministre américain de la Santé et des Services sociaux (HHS) à l'époque, a sillonné le pays avec ce conseil (http://www.pandemicflu.gov). Aujourd'hui, les fonctionnaires du CDC ne diront même pas si c’est toujours un bon conseil. C'en est un bon.
"Pourquoi les fonctionnaires sont-ils aussi réticents à décrire, de façon éclatante, le pire des scénarios et recommander vivement aux gens de se préparer à cette éventualité? "
Richard Besser, directeur du CDC, ne sous-estime pas les risques. Il se dit "très préoccupé", mais il exprime sa préoccupation d'une manière apaisante. Il n'a pas cette allure échevelée, épuisée du directeur des urgences, qu’avait perfectionnée Harold Denton, de la Nuclear Regulatory Commission, en 1979, lors de la crise de Three Mile Island. Denton a laissé la population croire que le risque était sérieux et que les gens étaient entre bonnes mains. Besser dit que c'est grave, mais nous laisse le sentiment qu'il ne veut pas que nous nous inquiétions beaucoup.

Pourtant, je ne blâme pas Besser de chercher à paraître rassurant. Une bonne communication de crise signifie: dire les choses alarmantes sur un ton calme, et c’est exactement ce qu’il fait.

Le problème est qu'il ne nous donne rien d’autre à faire qu’être hygiénique. Il continue de nous dire, précisément, que le CDC est agressif dans son intervention pour le foyer d’infection. Mais il ne demande pas à la population de prendre d'autres mesures. Il devrait vivement exhorter les citoyens, les écoles, les hôpitaux et les collectivités locales à suivre le conseil de Leavitt.

Au lieu de cela, nous avons une situation surréaliste dans laquelle le gouvernement fédéral a libéré un quart de la réserve nationale stratégique de médicaments antiviraux; ainsi il n’y aura pas assez d'oseltamivir (Tamiflu) pour en distribuer à des millions d’Américains malades. Mais il n'a pas encore demandé aux Américains de faire des réserves de conserves de fruits et de beurre d'arachide.

Nous avons déjà vécu cela. En 2005, la menace d’une pandémie provenait de la grippe aviaire H5N1. Le HHS et le CDC ont tous deux été convaincus que le risque était grave, et se sont engagés de façon similaire dans une action préparatoire agressive - c'est pourquoi nous avons cette Strategic National Stockpile (Réserve nationale stratégique) - et de façon similaire opposée à terroriser la population. L’impression a été que les gens ont été suffisamment préoccupés par les attentats terroristes du 11 septembre 2001, et les guerres en Afghanistan et en Irak, et que le gouvernement avait épuisé son quota de communications effrayantes. C’est à peu près la même impression aujourd'hui à propos de l'effondrement économique.

J'étais dans la minorité alors, et maintenant j’exhorte les autorités à faire participer la population aux efforts de préparatifs pandémiques. Au début de 2005, mes recommandations sont tombées en grande partie dans l'oreille des sourds.


Ne paniquez pas!

Cet été-là, le président George W. Bush a lu à propos de la pandémie de 1918, dans The Great Influenza, de John Barry. Ensuite, l'ouragan Katrina a frappé la Nouvelle-Orléans. Les deux en même temps ont convaincu la Maison Blanche que faire craindre les pires scénarios était plus approprié que la confiance la plus d'optimisme. Sans tarder, le CDC et le HHS ont tiré la sonnette d'alarme à propos d'une pandémie possible. Ils ont suscité certaines préoccupations, mais pas de panique; ils ont inspiré certains efforts individuels et communautaires de préparatifs pandémiques. Et puis l’attention s’est déplacée ailleurs, jusqu'à maintenant.

Pourquoi les fonctionnaires hésitent-ils beaucoup à décrire de façon frappante le pire des scénarios, en exhortant les gens à se préparer à cette éventualité? Il y a deux raisons - premièrement, la peur de la peur elle-même. Bien que les experts en gestion de crise aient été au courant pendant des décennies que la panique est rare (http://tinyurl.com/ogofyw), les autorités s’attendent habituellement à ce que la population s’affole si elle se fait dire des choses alarmantes, et les efforts méthodiques mal perçus pour se préparer, comme étant de la panique.

Cette approche tourne presque toujours mal. Les autorités terrifiées de créer la panique font des déclarations trop rassurantes, suppriment les informations alarmantes et dénigrent ceux qui ont peur, comme étant des "irrationnels". Les gens apeurés sont laissés seuls face à leurs craintes, persuadés que leur gouvernement les a trahis. Cela accroît l'inquiétude de la population, que les autorités ne peuvent canalyser en une action efficace, car elles ont déjà révoqué le statut légitime. Par exemple, au cours du foyer d’infection grave de SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère), survenu en 2003, le gouvernement chinois a nié que Pékin ait vu des cas de SRAS et des décès causés par le SRAS. Ces faux dénis ont conduit à la panique actuelle à Pékin.


Prévision de décès

À son crédit, le CDC n'a pas fait de déclarations trop rassurantes, supprimé les informations alarmantes ou diminué les peurs. Pendant plusieurs jours, avant le premier décès causé par la grippe porcine aux États-Unis le 29 avril, Besser a prédit qu'il y aurait des décès aux États-Unis. Cela est une excellente communication de risque. Il n'a pas sous-estimé à quel point les choses étaient graves, ou comment les choses pourraient tourner mal. Son échec a été plus subtil que cela: envoyant le message que le CDC allait tout faire pour nous protéger, et que nous n'avions peu ou rien à faire pour nous protéger. Dès le départ, le message du CDC a eu pour objectif de nous maintenir dans le calme.

La deuxième raison de la méfiance des autorités est la peur d'être considérées comme excessives. Les critiques accusent déjà les autorités de trop prévenir la population. Et si le virus régresse et si la pandémie ne se matérialise pas, ces critiques considéreront eux-mêmes avoir eu raison - comme si le fait que votre maison n'ait pas brûlé cette année ait démontré la folle décision de l'an dernier d'acheter une assurance contre l'incendie. La seule consolation que je peux offrir aux autorités, est que beaucoup plus de personnes ont perdu leur emploi pour ne pas avoir pris au sérieux une catastrophe, que d'être trop alarmiste à propos d'une possible catastrophe qui ne s'est jamais produite.

La solution d’une communication de risque à ce dilemme est d'émettre des mises en garde qui sont à la fois effrayantes et provisoires. Les fonctionnaires de la santé publique doivent utiliser la même phrase toute faite pour dire "Cela pourrait être très grave, et il est temps de se préparer au cas où cela se produirait", et "Cela pourrait ne pas aboutir, et nous nous sentirions probablement un peu stupides, le cas échéant ".

Cela pourrait aider si les autorités avaient une meilleure compréhension de la relation entre prendre des précautions et la peur. Laissant de côté les avantages pratiques, il y a deux impacts psychologiques valables en exposant [les faits].

Premièrement, considérer que les personnes responsables sont les plus inquiètes - celles qui sont excessivement inquiètes. Voici un secret de l’état de préparation qui est facile à oublier: il est apaisant de se préparer. Avoir des choses à faire donne aux gens un sentiment de contrôle. Cela renforce la confiance, et les rend plus capables d’assumer leur peur.

Deuxièmement, il y a ceux qui ne sont pas inquiets, ou qui sont déjà "arrivés à OFF". Chaque fois que les autorités répètent des conseils pratiques, plus de gens les suivent. Certains d'entre eux les prennent avec scepticisme, mais ils les prennent tout de même. Chaque fois qu’une personne agit, le scepticisme est réduit. Ainsi, exhorter les gens à se préparer peut calmer ceux dont la préoccupation est excessive, et réveiller ceux dont la préoccupation est insuffisante. Cela offre offre également les avantages pratiques d’avoir des approvisionnement essentiels à portée de la main.

Comme Besser le mentionne, nous sommes actuellement dans une phase de "pré-pandémie". L'Organisation mondiale de la santé a augmenté le niveau d'alerte de la phase 3 à 4, le 27 avril, et l’a augmenté de nouveau à la phase 5, le 29 avril. La phase 6 est une pandémie généralisée.

En annonçant la phase 5, Margaret Chan, directrice générale de l'OMS, a fait écho aux conseils du CDC. Lorsqu'on lui a demandé ce que les individus peuvent faire pour se protéger eux-mêmes, ainsi que leurs familles, elle a conseillé l'hygiène et la distanciation sociale, se laver les mains, rester à la maison lorsqu'ils sont malades, moins d’embrassades en public. Mais la propre orientation de l'OMS pour la phase 5 souligne que la pandémie est "imminente" et que le temps pour finaliser les préparatifs est court. Cela devrait signifier plus d'actions que de réduire les embrassades.

Nous pouvons rester en phase 5 pendant des semaines ou des mois. Ou nous pourrions progresser vers une pandémie légère, pas catastrophique, ou la menace pourrait régresser. Donc, la question clé est quoi dire à la population quand la pandémie semble imminente, mais personne ne sait comment cela va se développer.

Il y a deux ans, mon épouse et collègue Jody Lanard, et moi-même, avons essayé de répondre à cette question dans un article en ligne. Pour aider les fonctionnaires, nous avons délimité 25 messages spécifiques - (voir 'Things to say when a pandemic seems imminent' (Les choses à dire quand une pandémie semble imminente) - et la communication de risque justifiée derrière ceux-ci.

Fondamentalement, les fonctionnaires doivent se demander s’ils voient la population en tant que victimes potentielles à être protégées et rassurées, tout comme de jeunes enfants, ou des combattants d'une pandémie – des adultes - qui peuvent jouer un rôle actif dans la crise qui pourrait être à venir. La différence de tonalité pourrait sauver des vies.


http://www.nature.com/nature/journal/v459/n7245/full/459322a.html

Voir également Essay, page 324, en cours et pour la couverture du foyer d'infection H1N1: http://www.nature.com/swineflu. Une version longue de cet article est disponible sur http://www.psandman.com/col/swineflu1.htm.

Discutez de ce sujet sur le site Nature: http://network.nature.com/groups/naturenewsandopinion/forum/topics/4662

Traduction en français autorisée.
Traduit par Gaby - Zone Grippe Aviaire